Dimanche, 11 juin

Et cette route qui s’obstine à remonter le vent...
et ce vent qui ne s’essouffle pas un brin...



Huit heures, des nuages, du vent ; le mercure du thermomètre s’est un peu plus ratatiné, j’ai froid. Avant de mettre mon K-way, j’ai enfilé un second maillot.
Les proprios ne sont pas venus coucher chez eux cette nuit. ¿Pero dónde duermen ?1 Ils n’ont pas de cuisine dans ce logement mais ils ont peut-être une chambre de dépannage au bar restaurant !
Laissons-là nos supputations. Nous fermons l’appartement et regagnons Los Arcos pour rendre les clés.
Le petit déjeuner, une fois encore, sera léger : un café con leche y dos magdalenas2, bien grasses les deux madeleines. Il est trop tôt, le pain n’est pas encore livré en ce dimanche matin.
La cuenta3 n’est pas salée du tout, leur drôle de pension ne nous a pas coûté cher.
Et en route ! Le pépé avait raison, mais sa buena costa4 est pour tout de suite ! Escatrón est encaissée, on est redescendu à cent quarante mètres.
Des oliviers l’entourent. Nous roulons sur un plateau. Relativement à l’abri, dans le village en bas, ici nous ne le sommes plus. Des terres labourées, des céréales fauchées battues par le vent que nous recevons de trois quarts face ; rien de tout cela, rien au-dessus du sol pour se mettre à l’abri, tout pour notre poire !
Nous avons pris la A224 direction sud, nous la quittons après quatre kilomètres pour prendre la A1404 direction Azaila. Nous sommes sur une longue, interminable ligne droite, un faux plat montant, face au vent. Nous avançons petitement, j’ai pratiquement tout à gauche, pour ce qui concerne la position de ma chaîne.
Azaila est sur la N232 qui monte à Zaragoza, nous empruntons cette nationale, direction nord, pendant deux kilomètres, son revêtement est meilleur que celui des dix-huit que nous venons de faire. Puis, direction ouest par la A1307, vers Belchite ; nous voilà devant un vaste plateau, à nouveau désertique, et ses vingt-trois kilomètres. Nous sommes seuls, isolés, avec strictement rien pour pouvoir faire une pause à l’abri du vent. Quelques amandiers, au loin, surprennent dans ce paysage.
Le ciel s’est dégagé, a retrouvé son fond bleu mais des nuages traînent, étirés, déchiquetés. Je saisis sur ma pellicule l’or brun des terres travaillées qui rejoignent au loin le bleu clair du ciel.
La route est à nouveau longuement droite, à peine bosselée, complètement désertée. Nous la voyons monter légèrement et nous nous demandons ce qu’elle sera, ce qui nous attend, une fois arrivés en son point haut. Au bout, c’est encore une fois la même topographie...
J’ai du mal à boire l’eau prise tout à l’heure dans l’appartement, elle a trop goût à eau de Javel ; heureusement, ma soif est vite étanchée ce matin.

J’ai conservé mon K-way et la capuche. Stéphane a toujours son pull. Le fond de l’air est toujours frais. Là, le pépé, hier, n’avait pas raison, le vent tient bon ; il va de cordillère en cordillère. Descendant de la Cantabrique, il doit prendre de la vitesse entre l’Ibérique et le massif pyrénéen, le long de l’Ebro.

Il y en a un qui doit se demander ce qui lui arrive. Il était tout peinard, dans un placard, depuis quelques années. Le voilà, transbahuté sur les routes d’Espagne, bien installé sur un sac de couchage. Il est légèrement sous pression, il a un sandow en haut du crâne qui le maintient, mais il ne dit rien. Il voit du paysage.
Aurel, ton casque fait un beau voyage !

Cinq ou six voitures seulement ont dû nous dépasser sur la quarantaine de kilomètres parcourus en ce dimanche matin.
Nous sommes passés dans la provincia5 de Teruel puis revenus dans celle de Zaragoza. Une légère pente nous fait descendre à Belchite. La ville offre, si je puis dire, une vision d’apocalypse : un grand étalage de ruines. Depuis l’été 1937, l’ancienne Belchite est restée telle qu’elle est sortie de la guerre civile. Plus une seule toiture, des murs fracassés, les clochers délabrés des églises émergent encore. Belchite a tenu à conserver ses ruines, certaines sont même consolidées par des étais ! On a une idée de la guerre, là, devant nous. Les bombardements des républicains ont fait six mille morts ici.
J’achève ma première pellicule sur ces dévastations. Celle que je mets en place débutera avec la nouvelle Belchite, très coquette, qui a été construite à côté de son aînée détruite.
Il est midi et quart, nous avons dû faire ces quarante-trois kilomètres en trois heures et demie. Mon compteur fonctionne, après le démontage d’hier soir.
Stéphane, qui est à sec de pesetas, est à l’affût de la moindre banque ou plutôt, en cette journée de dimanche, d’une caisse automatique. Il dénichera quatre établissements, aucun ne va le renflouer. Le premier a bien un distributeur automatique mais celui-ci n’est pas accessible (« Sunday closed ») ; dans le deuxième, la machine est en panne ; le troisième est fermé ; dans le quatrième, il n’y en a pas.
« Et si t’es tout seul, alors qu’est-ce que tu manges ? » (nous faisons bourse commune, il n’y a donc pas de problème et pas d’urgence) ; parce que maintenant, une faim de loup nous habite.
Nous trouvons enfin un bar pour nous ravitailler. Il est midi et demi.
Le bar est vide, comme les trois rues que nous venons de parcourir.
Mon repas se constitue d’un bocadillo au beicon (ici aussi on l’écrit avec un e et un i pour bien le prononcer) y queso6 et d’una hamburguesa con queso7. Le choix de Stéphane est similaire.
Maintenant des clients nous tiennent compagnie, ils commencent par l’apéritif, je crois que leur repas sera constitué de quelques tapas8; pour eux, il est encore tôt.
Mucho jaleo9 encore dans ce bar, les Espagnols sont exubérants ; le son de la télé est à fond. Des titres et des photos sur le journal que lit ma voisine m’interpellent. « ¿ Podré leerlo cuando lo termine ?»10

El periódico de Aragón11 titre : « El vendaval causó estragos en Aragón »12, « Cataluña se llevó la peor parte con destrozos muy graves »13, « El aguacero provocó daños en Montserrat donde 500 personas quedaron aisladas »14, « Sucumbió un puente de la NII y otras vías quedaron cortadas »15, « El fuerte cierzo derribó vallas publicitarias y árboles. También dejó sin luz a miles de personas »16, « Un obrero falleció en Broto al caer de un tejado »17.
Sous la photo d’un énorme platane tombé au milieu de la chaussée : « En Zaragoza los bomberos retiran un platanero de diez metros que se precipitó sobre la calzada »8.

Finalement, nous, entre Mequinenza et Escatrón, nous nous en sommes plutôt bien sortis ; le vendaval nous a épargnés, puisqu’il ne nous a pas fait décoller !

Nous reprenons notre chemin, toujours direction ouest. La A1307 a stoppé à Belchite, nous continuons sur la A220. Nous avons fait court pour le repas, le cafetier aussi.
Quelques kilomètres après le départ, un panneau sur la gauche attire mon attention : Nuestra Señora del Pueyo9.
J’ai noté ce nom sur ma feuille de route. Au cas où nous aurions fait étape un soir à Belchite, j’avais comme possibilité, pour coucher, la pensión El Pueyo et l’albergue Virgen del Pueyo20. L’ayuntamiento21 de Belchite à qui j’avais écrit, m’avait aimablement répondu en m’indiquant ces deux hébergements et précisait pour l’albergue : « llamar al párroco »22.
Une petite route en terre mène au sanctuaire perché au sommet de la colline. Ce sera pour une autre fois...
A l’heure qu’il est, je pense que nous avons, dans l’immédiat, le temps d’arriver à Cariñena qui se trouve à trente-six kilomètres ; là-bas, nous verrons bien, il fera encore jour.
La route est à nouveau rectiligne, faite de faux plats tantôt montants, tantôt descendants. Un grand panneau sur le talus annonce Fuendetodos et indique que nous sommes sur la Ruta de Goya23 ; on peut voir sa silhouette reconnaissable à son chapeau, genre haut de forme. Nous ne faisons pas le crochet vers les habitations légèrement sur notre droite.
Une humble maison de ce village isolé, qui compte cent soixante-dix habitants, vit naître Francisco de Goya y Lucientes, en 1746.
Sur ces platitudes désertifiées, nous sommes toujours une belle proie pour le vent qui n’est plus le vendaval mais qui en a de beaux restes. Le ciel s’est blanchi. Depuis hier, mon petit « tic-tic », au niveau du pédalier, est revenu. Cet après-midi, dans ces faux plats montants et ventés, lorsque l’allure est au 30x24, je l’entends davantage.

J’ai fini par comprendre ce qui se passe, et la pédale droite n’y est pour rien !
Quand j’appuie sur celle-ci, donc lorsque je force sur le petit plateau, celui-ci se voile légèrement et vient toucher, sur l’extérieur, le tube du cadre qui relie les plateaux aux pignons. Il doit y avoir moins de cinq millimètres entre la partie fixe et le petit plateau qui a dû, à chaque serrage du pédalier, se rapprocher. Je vois la trace du frottement sur le tube. Le bruit cesse lorsque je roule avec le plateau de quarante-deux mais celui-là, je n’ai pas beaucoup d’occasions pour l’enrouler cet après-midi. Bon sang, mais c’est bien sûr ; lorsque le vélociste de Puigcerdá avait pulvérisé du lubrifiant au niveau du pédalier, il y en a forcément eu à l’endroit du frottement ; c’est ce qui avait fait disparaître le bruit...

Et ça continue encore et encore. Et cette route qui s’obstine à remonter le vent, et cette route qui s’élève sans arrêt et qui me secoue, et ce vent qui ne s’essouffle pas un brin, et ce plateau à la végétation rare et rase et pas le moindre petit abri...
Les céréales, ici, se sont adaptées aux conditions climatiques, elles sont courtes sur pattes ; elles n’atteignent, alors qu’elles sont en fin de maturation, qu’une quarantaine de centimètres. Il vaut mieux qu’elles rasent les mottes. Il en est de même pour nous ; nous nous arc-boutons sur nos guidons, la tête rentrée dans les épaules, le plus bas possible. Les mains serrent la potence, les pouces se touchent.

Mon regard, droit devant, loin, scrute l’horizon, cherche le bout de la route, en espérant entrevoir la fin du calvaire... du jour.

Je monte souvent la chaîne sur mon avant-dernier pignon ; après mon 30x24, il ne me reste plus grand chose en réserve. Maintenant, j’en ai plein les « Time »24, sur cette route qui n’est même pas une route, elle n’a même pas de voiture !
Stéphane suit sans mot dire.
Nous ne sommes pas « cuits aux patates » comme dirait l’ami « Friolet » mais peu s’en manque. Ce n’est pas tant le physique qui est mal en point mais le moral !

Le paysage change, des vignes nous entourent. Avec un immense soulagement, je vois Cariñena pointer et le bout de notre route. Avant le village, elle croise la N330 qui relie Zaragoza à Teruel. Nous la quittons sans regret.
Il est trop tôt pour arrêter l’étape ici, à l’heure du goûter, après seulement quatre-vingt- cinq kilomètres.
Notre direction est maintenant le Sud et les conditions devraient nous être plus favorables, en tout cas pour ce qui est du vent qui, dans ce sens, je l’espère ardemment, va nous avantager, et pour ce qui est du revêtement de la route.
Nous aurons par contre le puerto de Paniza25, à neuf cent trente-huit mètres, à passer, puis la route devrait redescendre jusqu’à Daroca, à une quarantaine de kilomètres.
C’est la sierra de Algairén qui est devant nous mais le dénivelé n’est pas important en démarrant de l’endroit où nous nous trouvons. Depuis ce matin, nous sommes passés de cent quarante-trois mètres au départ d’Escatrón, à quatre cent quarante à Belchite ; et Cariñena est à six cents mètres. Nous sommes sur les contreforts des Monts Ibériques.
Peu après le carrefour, un colossal bar restaurant pour routiers nous tend les bras.

Una cerveza y un bocadillo, nous nous délectons. Après plus de deux heures de crispations, ce moment de détente va nous retaper.

La route s’élève, c’est une nationale en très bon état, la bande cyclable est large et propre. Le trafic est peu important, en ce dimanche soir. Les camionneurs sont attentionnés : un petit coup de klaxon bien avant de nous dépasser puis, à notre hauteur, ils s’écartent largement de notre couloir.
Quelques lacets avant le passage du col que nous avons monté relativement confortablement, puis une petite plongée nous emmène vers une deuxième ascension. Le puerto de Paniza est suivi du puerto de Huerva, plus élevé que le premier de six mètres. Sur cette sierra, les sommets dominants avoisinent les mille trois cents mètres. Ce paysage montagneux est plus verdoyant que le plateau précédent, mais sans arbre ; les blés sont verts, les labours nombreux.
Maintenant, nous avons bien mérité une bonne descente puis une longue ligne droite bien plate, une vraie cette fois !
C’est volontiers que nous descendons à nouveau, cette fois sur Daroca, tout entourée de murailles et de tours croulantes. Plusieurs clochers pointent au-dessus des toitures rouges. Nous laissons la nationale pour rentrer dans la cité, par la Puerta Alta26.
Il est dix-huit heures quinze, mon compteur a fait de bons comptes, il totalise cent vingt et un kilomètres ; la carte en affiche autant.
Je n’ai aucune donnée sur la ville, j’avais vu trop loin pour cette journée. Il faut dire que je partais ce matin de Fuendetodos ou Belchite ; je prévoyais pour ce soir, Molina de Aragón soit une étape de cent trente, cent quarante kilomètres ; Molina est à plus de trois heures de route.
Mais j’escomptais tout ça, assis dans ma salle de séjour, penché sur une carte, un stylo à la main... J’étais loin d’avoir tous les éléments, surtout ceux qui ont été contre nous ces deux derniers jours...
Nous descendons la rue principale, la calle Mayor27, à pied, car les pavés doivent être d’origine, c’est-à-dire du Moyen Âge.
La ville est pittoresque, ses vieilles pierres sont dorées par le soleil couchant. En bas de la rue, la pensión El Ruejo qui affiche deux étoiles aura bien una habitación doble28 pour nous. Bar au rez-de-chaussée, restaurant et chambres aux deux étages ne font qu’un. Une grande porte cochère donne accès à une vaste cour intérieure où nos vélos passeront la nuit. Nous les rangeons dans le fond et les attachons, par précaution, malgré que la porte soit fermée la nuit.
Stéphane est le préposé à la carte d’identité, il la laisse à l’hôtelière, nous la récupèrerons tout à l’heure. Nous réglons dès maintenant la chambre, il nous en coûtera trois mille cinq cents pesetas pour les deux ; la salle de bains sera dans le couloir.
Demain, il n’y aura personne avant neuf heures ; nous, on pense partir plus tôt.
Je crois que nous ne chercherons pas ailleurs pour dîner ce soir ; pas trop de courage pour aller voir plus loin et puis dans la grande rue que nous avons descendue, tout avait l’air fermé.

Le comedor de notre pension fera l’affaire, le prix des chambres est correct, il devrait en être de même pour les repas.
Lorsque nous allons récupérer nos affaires, un somptueux side-car stationne au beau milieu de la cour. Ses passagers doivent être en train de décharger leurs bagages.
Il y en a de partout, par terre, tout autour, des sangles défaites déroulées sur deux ou trois mètres, des sacs... Il y a là un gigantesque déballage ; il faut dire que l’embarcation est volumineuse ! C’est un beau side-car rutilant, sa peinture noire et ses chromes sont étincelants ; il a trois places ! Il doit y avoir le père, la mère et l’enfant. A la moto, deux caisses sont accolées de front, une de taille habituelle, l’autre plus réduite, genre poussette. La largeur de l’engin est impressionnante.
Chaque fois que nos vélos passent la nuit dehors, nous défaisons tout notre barda, comme doivent le faire les derniers arrivés, avec leur moto tripartite.
Nous voilà, grimpant encore, mais cette fois des escaliers, avec sacoches arrière, sacoche avant pour moi, sacs de couchage, casques, ainsi que bidons car demain, il nous faudra les remplir dans la chambre avant de partir. Entre les deux étages – notre chambre est au second – nous rencontrons nos voyageurs motorisés. Ce sont des Anglais et leur français est comme mon chinois, mais lorsqu’un voyageur rencontre un autre voyageur... ils essayent de causer, de voyage...
Eux, ont traversé la France, maintenant l’Espagne, destination le Maroc.
« Ici, accueil not very good », nous dit l’homme, la mimique expressive.
« En France, plus meilleur dans vos « guites » », qu’il rajoute !
Avec Stéphane, nous nous regardons ; que peut-il bien vouloir dire ?
Ce n’est pas une pantomime mais presque.
« Bien accueil « guite » ». Nous ne comprenons pas ; lui, a compris qu’on bloque sur « guite » ; il insiste, cela dure.
« Coucher, dormir, « guite » ».
Qu’est-ce qu’il baragouine, l’Anglais ?
Je finis par saisir : « Ah ! gîte ! »
Ils ont dû s’arrêter dans nos gîtes d’étape, il est vrai que l’accueil y est plus convivial, plus familial que dans un hôtel, et ici, en plus, il faut montrer ses papiers !

Ce soir, pour la première fois, il est tôt ! Je vais pouvoir faire un peu de lessive. Je m’affaire sur deux cuissards et un maillot. Je fais tout comme me l’a expliqué la lavandière des Piellettes sauf peut-être pour la dose de lessive sur laquelle j’ai forcé. Mon petit flacon plastique en a pris un coup ! Dans l’une des deux salles de bains de l’étage, je m’empresse : les cuissards trempent dans le lavabo, et j’ai réquisitionné le bac à douche pour le maillot.
Et puis, très important : bien rincer la peau de chamois pour ne pas risquer d’irriter les parties charnues du bas de mon dos !
Maintenant, il me faut résoudre le problème de l’étendage.
Je m’en constitue un, en tendant la ficelle du store roulant, entre le haut de la fenêtre et la rambarde du balcon. Comme le fil est plus proche de la verticale que de l’horizontale, l’exercice est délicat. Avant d’attacher la ficelle à la grille, j’ai noué trois cintres au niveau de leur crochet, en serrant bien fort, car une première fois, il y a eu glissade.

Stéphane est allongé sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, les yeux fermés, les écouteurs aux oreilles..., zen.

Nous avons un peu de temps, chose rare, pour aller faire un petit tour. Du balcon, j’ai vu que le bout de la calle Mayor était proche. La rue descend légèrement jusqu’à la deuxième porte fortifiée de la ville : la Puerta Baja29, à l’opposé de la première. Deux belles tours l’encadrent, l’écusson qu’elle arbore est celui de Charles Quint, fils de Jeanne la Folle, elle-même fille d’Isabelle la Catholique. C’est la porte ouest, c’est par là que nous partirons demain ; un panneau indique Molina de Aragón à soixante-deux kilomètres par la A211, notre route.
Je scelle ces pierres sur ma pellicule.
De retour, d’une cabine, Stéphane donne aussi de ses nouvelles ; Candé est loin, tout là-bas vers Angers et puis comme il a la hantise que des militaires français d’Allemagne se rappellent à son bon souvenir, chez sa mère là-haut... C’est peu probable mais il veut se rassurer.
Un maillot rouge et blanc et deux cuissards noirs pendouillent sur le deuxième balcon de la pensión-restaurante Ruejo.
La rue est déserte et froide, nous sommes dimanche soir...

Le repas au comedor est à mille cent pesetas. Nous sommes seuls dans la salle ; à la télé, un remake espagnol de la série « Urgences », nous fatigue. Je ne sais pas si c’est qu’elle s’en est aperçue mais la dame qui nous a reçus et qui peut nous voir de l’arrière-salle, revient et change de chaîne. Cette fois, nous avons un programme culturel avec une émission sur la Roumanie, pas vraiment plus déridante.
Cannellonis, lomo de cerdo, patatas fritas sont au menu de ce soir. Il y a trois tranches de porc dans chaque assiette mais trop peu de frites. Comme nous sommes les seuls clients, j’en profite pour demander un supplément. La dame nous en ramène quelques-unes mais elles figureront dans la cuenta, en guise de supplément, à la fin du repas.
Nous avons bien apprécié le vino tinto30, compris dans le menu ; très noir ce vin, très bon, nous avons séché le pichet.
Au dessert, je goûte la cuajada31, servie avec du miel.

Maintenant, nous avons besoin d’un bon lit.
Ce soir, il fait encore plus froid qu’hier ; j’enfile mes chaussettes. La nuit va être fraîche ; Daroca, malgré qu’elle soit dans un creux, est à sept cent quatre-vingt-dix mètres.
Demain devrait être encore une dure journée même si j’espère avoir mangé pas mal de mon pain noir ces deux derniers jours ainsi que lors de notre deuxième journée.
Nous sommes bien avancés dans l’Espagne mais encore dans la partie nord, en Aragon. Notre direction va continuer sud ; nous passerons à l’est de Madrid, puis à nouveau direction ouest, vers Toledo ; ensuite, route plein sud vers l’Andalucía32.