Samedi , 10 juin

Que faire en de telles circonstances ?



Il a plu toute la nuit sans interruption, le tonnerre a grondé longtemps. Il est sept heures trente ; inquiet, je tire le rideau ; il pleut...
Le temps est complètement bouché, de toutes parts. Le feuillage des arbres est très agité, qui plus est.
J’espérais passer à travers de telles conditions. Le mauvais temps annoncé hier a l’air bien installé.
Nous convenons d’attendre, de remettre notre départ, plus tard, dans la matinée. Peut-être que la pluie va cesser ! Notre prochaine étape, sur le papier, c’est Belchite, à cent douze kilomètres. Va-t-on être bloqué toute la journée ? Il faudrait pouvoir rouler au moins l’après-midi, quitte à pédaler plus longtemps...
Dans le comedor1 où nous prenons un vrai petit déjeuner, je scrute le ciel qui ne se débouche toujours pas ; il est neuf heures quinze. La pluie redouble alors que nous buvons notre premier zumo de naranja2. Des hommes attablés à côté parlent de pêche, de chasse. Ce sont des Français du sud-ouest, des environs de Pau. Ils sont arrivés hier soir, ils sont là pour un week-end de pêche. La renommée des plans d’eau du río Ebro va au-delà des Pyrénées.
Les murs de la salle où nous sommes, pas autant que ceux du bar à l’autre bout de la rue, sont décorés de tableaux figeant les exploits de pêcheurs au gros.
Nous sommes dans l’incertitude la plus complète ; partirons, partirons pas ? La seule certitude, c’est l’eau qui dégringole et le vent qui souffle, que nous ne voulons pas affronter.
Ici, dans l’hôtel, pour les prévisions, c’est le flou. Les alentours restent toujours bien couverts.
« ¿Tiene usted sacos de plástico ?»3, dis-je à la patronne, avant de remonter. Elle me donne des sacs poubelle. Il va falloir protéger au maximum nos affaires dans les sacoches.

Repos forcé dans notre chambre ; tantôt allongé, tantôt planté devant la fenêtre, écartant les rideaux, je lorgne devant, je lorgne au loin. La rue est déserte, no hay ni un alma4..., la pluie est traversière, les arbres sont secoués. Nous nous sommes donnés jusqu’à onze heures, en espérant d’ici là, la clémence des cieux.
Pendant que je cherche désespérément un coin de bleu dans le ciel grisâtre, Stéphane, imperturbable, travaille son « Espagnol en quarante leçons ». Il est dix heures trente.

Onze heures..., on va partir, on ne tergiverse plus !

Depuis le troisième jour, je badigeonne la peau de chamois de mon cuissard, de crème anti-irritations ; j’en fais de même ce matin, à titre préventif.

Nous voilà sur le trottoir, les vélos chargés, encore un peu à l’abri. De ma sacoche de guidon, je sors deux sacs plastiques transparents, de ceux qu’on trouve dans les hypermarchés au rayon des salades. C’est un vieux truc à Roger, que j’expérimente ; ça permet de conserver ses pieds au sec quand on roule sous la pluie. Je les enfile par- dessus mes chaussures et les fixe avec des élastiques.
Je ne mets ni mes gants, ni mes lunettes, je serais plus embarrassé avec. Je serre bien la capuche de mon K-way par-dessus ma casquette, la visière de celle-ci l’empêchera de descendre sur mon front et mes yeux, et le vent ne viendra pas s’engouffrer là.
Nous enfourchons les vélos ; il est onze heures quinze. Nous sommes bien loin de nous imaginer ce qui nous attend.

Il suffit de passer le pont, cette fois sur l’Ebro, à la sortie de la ville, pour que notre route devienne apocalyptique, si tant est qu’on ait une idée de ce mot !
Le pont est pavé et mal pavé, nos vélos ne sont pas à la joie. Au bout du pont, long, virage à droite, vers l’horreur, mais ça, on ne le sait pas encore.
La première découverte, c’est que tout de suite, à la sortie du virage, ça monte. Le pourcentage est de cinq ou six, et la route est en mauvais état. Celui-ci va aller en se dégradant, pour devenir franchement mauvais. Nous sommes pourtant sur la nationale 211, qui était si correcte hier. Les pierres sont apparentes sur la route, qui devait être au départ un lit de cailloux sur lequel on a coulé un centimètre de goudron !
Maintenant l’usure de l’asphalte est telle que les pierres semblent pousser, telles des champignons. Mais là, ça va encore, on peut les éviter !
La pluie n’a pas cessé et le vent souffle de travers. Nous laissons Mequinenza en bas, à soixante-quinze mètres d’altitude...
La deuxième découverte, ce sont des travaux sur cette route, de temps à autre ; on le comprend, elle en avait besoin. Nous franchissons quelques passages terreux. Au total, seize kilomètres, de mal en pis, pour nous élever jusqu’à une altitude de quatre cents mètres.
Puis le morceau de choix nous est enfin servi, sur un plateau triangulaire : ZONA DE OBRAS5 ! La route est en complète refonte. A partir de là, nous allons rouler sur un revêtement non stabilisé, fait de terre et de pierres.
J’essaye en vain de rechercher un passage potable, il n’y en a pas ! Mes pneus de vingt- cinq ne vont pas apprécier, ceux de Stéphane, plus larges, devraient mieux se comporter. Nous ne sommes pas maîtres de nos engins, un violent vent, tantôt de travers, tantôt de face, nous assène ses rafales. Nous penchons dangereusement pour tenir en équilibre, tellement, qu’il arrive que les pneus chassent. Je prends la précaution de déverrouiller soit la cale gauche, soit la droite, pour pouvoir mettre pied à terre quand je pars en dérapage.

Après les seize premiers kilomètres, je croyais l’ascension achevée ; maintenant, dans ce nouvel enfer, ça repart en montées et petites descentes. On a l’impression de passer entre de petits canyons ; l’eau s’écoule le long des parois rocailleuses et forme des ruisseaux boueux, des deux côtés de la route.

Plus avant, en contrebas, des champs labourés inondés ; pas très loin sur notre droite, sur la grande surface plate du plan d’eau, le vent s’en donne à cœur joie, il arrive à arracher les vagues qu’il a engendrées pour les projeter à perpète. Sur ces étendues d’eau, il pleut à l’horizontale … Nous sommes à proximité de l’embalse6 de Mequinenza, aujourd’hui, les pêcheurs palois de l’hôtel vont faire chou blanc.
Extrêmement rares les voitures, elles nous croisent, traînant une petite embarcation derrière elles. Elles doivent venir de Caspe ou de plus loin et se rendre à Mequinenza. Nous ne les faisons pas le moins du monde ralentir, elles vont plutôt vite dans les caillasses, avec leur chargement. Elles ne serrent pas leur droite ; nous non plus ; nous voulons tous rouler sur ce qu’il y a de meilleur ! De temps à autre, une pierre décolle.
Et cette route devant nous, qui continue à nous présenter un spectacle horrifiant...
Nous sommes un samedi matin exécrable sur la terre d’Espagne. Qu’a-t-elle donc fait, juste ici, pour que le ciel s’acharne sur elle aussi férocement ?

Au passage, je remarque quand même quelques amandiers, malmenés.
Le sac plastique de ma chaussure droite est déchiqueté ; les dents de mon grand plateau sont là, menaçantes... prêtes à happer les lambeaux que le vent fouette et qui s’en approchent dangereusement. Je l’arrache complètement pour éviter un carnage ; la pluie semble se calmer.
J’avance, la plupart du temps avec mon 30x24, j’ai donc peu de réserves côté machine. Stéphane est toujours proche, il roule une petite dizaine de mètres derrière. Pour la première fois, je l’entends crier.
Les « mierda »7 et les « putain »7 ont beaucoup fusé entre Punta Plana et El Pla, dans ce qu’on appellera la sierra8 « inattendoue », injures éructées contre des éléments déchaînés qui s’en prennent à deux pauvres cyclos qui n’en peuvent mais !
Mais que faire en de telles circonstances ?

¯ Et j’avance j’avance j’avance
Quels que soient les mauvais temps j’avance
Vers ce qui reste de lumière j’avance
Tant pis pour les orages j’avance j’avance
M’attendez pas j’avance j’avance j’avance
Vers ces regards que j’aimais j’avance
Vers toutes ces mains qu’ils me tendent j’avance
Malgré tout c’qui me tue j’avance j’avance
...
Et toujours toujours se dire
Que le ciel n’est pas loin
...
Tout oublier des souffrances
N’y penser presque plus
Beaucoup à perdre si j’incline
La tête vers le bas
C’est droit devant que ça vibre
Au bout devant moi
C’est malgré soi qu’on s’obstine
Qu’on ne renonce pas
Pour changer la fin du film ¯

Le programme de cette fin de matinée peut-il nous réserver d’autres surprises ?
Pas une habitation dans ce paysage désertique, hostile, si ce n’est un hangar à fourrage, à une centaine de mètres de la route. Deux chiens en sortent, méchamment, et s’élancent vers nous ; il ne manquait plus que ceux-là ! Ils comprennent vite, à la seule vue de nos têtes renfrognées, que ça n’est pas le moment de venir nous agacer et rebroussent chemin.

Nous arrivons à Caspe à quatorze heures quarante-cinq ; nous avons retrouvé le macadam il y a à peine quelques kilomètres ; j’en relève cinquante-cinq sur mon compteur. Cette distance est erronée ; Mequinenza et Caspe sont distantes de trente-neuf kilomètres seulement. Mon « Sachs Huret »9 a pris l’eau, je n’ai pas pris la précaution de le protéger. Par contre, mes pieds ont été maintenus au sec, surtout le gauche qui est resté bien ensaché.
Dans la première rue que nous empruntons et qui monte – le village est perché – nous avons enfin le privilège de voir quelques êtres humains. Ce sont des jeunes qui attendent devant un ciné-théâtre. Je leur touche deux mots de cette piste, que dis-je, de cette nationale ; ils compatissent. Ça fait cinq ans qu’ils subissent des réfections de route. Mais quelle drôle de méthode que de laisser en chantier autant de kilomètres d’affilée ! Nous avons dû en faire une douzaine dans cette pierraille. Leur fait-on un prix pour goudronner tout en même temps ?
La pluie a complètement cessé mais le vent ne faiblit pas.

En haut de la rue, une toute petite place ; avec un indicible plaisir, nous passons la porte du bar ; enfin à l’abri ! Dans ce bistrot, le proprio a isolé un coin restaurant avec des paravents. De derrière sa banque, il nous demande où on veut s’installer. Vu nos têtes hirsutes et nos tenues pas très ville, nous préférons rester isolés à proximité du bar, il n’y a personne de ce côté-là, alors que là-bas, des familiers sont attablés.
Je pose la question traditionnelle pour nos deux vélos qui sont dans la rue, hors de notre vue. La réponse ne varie pas : « ¡ Aquí no pasa nada ! ».
Deux Toulouse-Lautrec et un Monet ornent les murs de notre petite salle. Nous devons être les tout derniers clients, aussi, nous sommes servis promptement. Nous prenons le plat du jour, histoire de manger chaud et de nous réchauffer un peu.
Un Noir est entré dans le bar, il y a une dizaine de minutes, il est assis au comptoir. Le patron, que je n’ai pas trouvé très sympa au premier abord, voire même plutôt sec – on avait l’impression d’embêter – grogne lorsque son client demande à se restaurer. « La comida, hay que hacerla, no se hace así... »10 ; il doit en avoir assez avec sa première fournée, et de nous qui sommes arrivés du diable Vauvert...

Le vent froid qui nous a harcelés ce matin, s’engouffre par la porte chaque fois que quelqu’un l’ouvre, comme pour nous signifier qu’il n’en a pas fini avec nous...

Le retardataire, accoudé au comptoir, a maintenant de quoi se rassasier.

Ce n’est pas de gaieté de coeur que nous quittons notre refuge ; bien que la pause ait été courte, il est déjà seize heures.
La pluie a cessé mais le ciel est toujours gris. Le fond de l’air est frais ; je m’en rends compte maintenant, au sortir du restaurant, alors que ce matin dans notre lutte contre le vent, les pierres et les ascensions, nous étions échauffés. Etant données l’heure et la distance parcourue ce matin, nous ne ferons pas l’étape prévue qui devait nous conduire plus avant, à quelques soixante-dix kilomètres dans le plus mauvais des cas ou quatre-vingt-dix en étant optimistes. J’avais sous-estimé le pire.
Je remets mon K-way et serre bien la capuche.
Stéphane cherche désespérément un estanco11 pour se procurer une carte téléphonique, avant de nous replonger dans la campagne. Le seul du village n’ouvre qu’à dix-sept heures ! Il ferme par contre à vingt heures.
A peine redescendus, une côte nous attend puis nous nous retrouvons sur un plateau légèrement vallonné. Nous sommes sur la A221, pour le moment sur un secteur qui vient d’être refait, c’est déjà ça, direction Escatrón. Vingt-huit kilomètres, direction ouest, pour y arriver et pas le moindre village sur cette route. Entre les bosses, les longs faux plats montants, interminables, sont balayés par un vent effroyable qui lui, vient de l’ouest ; il n’a pas fléchi depuis ce matin. Nous l’avons donc en pleine face, ses rafales nous plantent sur la route. Cette tempête, conjointement à la légère inclinaison, me contraignent à pédaler avec mon 30x24 ; je ne remonte que très rarement sur le moyen plateau.
Le paysage est désertique, pas une habitation, pas une âme qui vive. Des lignes à haute tension longent la route, principalement sur notre gauche. La végétation, fantomatique, ploie ; nous, nous sommes couchés sur nos guidons, et pas le moindre recoin pour s’abriter quelques minutes, pour souffler, si je puis dire...
Au croisement de la route ou plutôt du chemin qui va sur Chiprana, enfin un refuge, genre arrêt de bus : nous nous y engouffrons avec nos vélos. Une nuée d’hirondelles en sort en piaillant, je pense que toutes celles des environs sont venues nicher là. Dans cette région désertique, ça doit être le seul abri à des kilomètres à la ronde. Malgré le panneau « Prohibido el paso - Finca particular »12, nous séjournons une dizaine de minutes entre ces trois murs ; nous apprécions cet abri, de la même façon que les volatiles locataires que nous avons fait fuir.
Je prends quelques photos du désert qui nous entoure, des quelques feuillages malmenés, je voudrais fixer ce vent sur ma pellicule, ce vent dont je pense qu’il souffle plus fort que notre mistral.
Les derniers kilomètres de la journée sont terriblement longs...
Avant Escatrón, la route est à nouveau en reconstruction, sur quelques centaines de mètres seulement cette fois. Je me surprends à pousser des hurlements, Stéphane en fait autant. Serait-ce un début de divagation ?
Nous arrivons, il est dix-neuf heures, nous n’irons pas plus loin.
Nous avons parcouru les vingt-huit kilomètres de cet après-midi en trois heures !
Bien que sur une route correcte, mais beaucoup plus exposés au vent sur ce plateau, notre moyenne a été plus faible que celle de ce matin où nous avons fait trente-neuf kilomètres en trois heures trente.

Mon compteur, lui, c’est sûr, délire complètement ; à la pause, le kilométrage était erroné, ce soir l’erreur est encore plus importante. En réalité, nous avons parcouru, d’après la carte, soixante-sept kilomètres pour environ six heures trente de selle, soit, le calcul est simple, une moyenne de dix kilomètres à l’heure.

La dame de l’hôtel Rodés, à qui j’avais demandé ce matin si elle connaissait une possibilité d’hébergement à Escatrón, pour le cas où ce serait notre ville étape, m’avait indiqué, en consultant la guía13, la pensión El Portellar.
En continuant vers le centre du village, dans une étroite ruelle, nous trouvons cette pensión. Tous les volets sont fermés ; je sonne, en vain. Je questionne un couple qui s’apprête à partir, un peu plus bas dans la rue ; le monsieur m’indique qu’elle est fermée, que les propriétaires sont partis en vacances, mais qu’en sortant du village, côté sud, près de la station service, il y en a une autre : Los Arcos.
Escatrón est un vieux village de campagne ; ses habitations, du centre ou à l’extérieur, ne montrent pas de signes de richesse ; il compte mille quatre cents habitants. Des cigognes ont élu domicile sur le clocher.
Il y a une grande terrasse couverte devant Los Arcos, celui-ci n’affiche que bar restaurant, je ne vois pas où on pourra coucher ici ! Ses abords, non achevés, déserts, ne me rassurent pas ; pendant que Stéphane reste à proximité des vélos, je rentre me renseigner.
L’accueil y est des plus froids. Une matrone, le sourire à l’envers – je l’emmerde manifestement – me dit qu’elle est seule et qu’elle va voir ce qu’elle peut faire, mais ne bronche pas. Je fais rentrer Stéphane, nous allons commander dos cervezas, pour mettre en confiance la mégère. Notre entrée dans ce bar a dû surprendre, voire inquiéter ; peut-être nos mines fatiguées ? Ferions-nous clodos ?
En tous cas, nous avons l’air de deux chiens dans un jeu de quilles en nous installant, un peu à l’écart des gens attablés. Nous sommes détaillés des pieds à la tête, nous avons pris la précaution, bien sûr, avant d’entrer, de nous découvrir le chef. Nous ne sommes pas des sauvages tout de même ! Mais l’inconnu effraie ...
Une consolation toutefois, en rentrant, un pépé nous a salué et s’est montré curieux. J’ai essayé de converser : d’où nous venons, où nous allons, du parcours, du vent ... De celui-ci, il me dit qu’il vient des Monts Cantabriques, que demain, il devrait se calmer. Selon lui, le temps va s’arranger. Il me parle d’une bonne côte par contre, qu’il nous faudra passer, pour aller à Belchite.
Nous sirotons notre bière, toujours couverts, Stéphane a conservé son sweat, moi mon K-way. La salle n’est pas chauffée ; pensez, un dix juin !
Aujourd’hui, je n’ai bu, depuis le petit déjeuner, que la bière du repas de midi et trois gorgées d’eau qui restaient dans le fond d’un bidon, l’autre était vide. Je n’ai pas pensé à faire le plein, sans doute la pluie et la fraîcheur m’ont empêché de penser à la soif, mais ces trois gorgées ont suffi à l’apaiser.
Il est vingt heures trente ; ça va faire une heure que nous sommes attablés dans le bar de cet établissement, dans l’attente de savoir où nous allons coucher. Je m’approche du comptoir pour prendre des nouvelles ; j’ai attendu que la matrone ait regagné sa cuisine.
Je préfère m’adresser à l’homme qui doit être le mari ; il me dit que nous aurons bien une chambre et qu’on va nous servir la comida.

Mais où se trouve-t-elle, cette piaule ?

Un jeune est entré dans le bar, je le salue et lui demande si ça souffle toujours dehors. Il me dit qu’un vent comme aujourd’hui, un vent du nord-ouest froid, c’est exceptionnel ; que d’habitude, il fait chaud ici en cette période et que les températures sont de l’ordre de trente-cinq degrés.

Ces proprios n’ont décidément pas l’air sympathiques. Il est vingt heures quarante-cinq et nous attendons devant nos verres de bière vides.
Finalement, la comida arrive, nous sommes les premiers servis.
Une bande de jeunes, pendant que nous mangeons, devient de plus en plus bruyante, ils carburent au rouge limonade. Il y en a un qui commence à être singulièrement excité, son rire est indéfinissable, je dirai démentiel. Ça doit être l’équipe de dégénérés du village ou bien c’est le début de la fièvre du samedi soir à Escatrón. Les plus âgés, des tables d’à côté, lorsque ça va trop loin, les rappellent à un peu plus de calme.
Nous allons enfin avoir notre chambre ! Le patron remet des clés à un gamin, son fils probablement, et nous demande de le suivre. Le petit a un vélo ; à trois ou quatre cents mètres de l’autre côté de la grand route, il y a des petites maisons. Le vent s’est quelque peu calmé.
Nous avons beaucoup plus qu’une chambre à notre disposition. Je comprends pourquoi on a attendu au bar Los Arcos, l’habitation qu’on nous loue est en fait un appartement comprenant trois chambres, une salle de séjour, une salle de bains avec toilettes. Nous inspectons à nouveau ; non, il n’y a pas de cuisine !
Est-ce que ça ne serait pas carrément l’appartement des proprios du bar restaurant ? Pas besoin de cuisine, s’ils font la bouffe midi et soir dans leur restau !
Il y a ici télévisions, chaînes hi-fi, postes radio, tout est meublé ; mais bon, on s’en fout ! Dans la plus grande des chambres, impeccablement étalée sur le lit, une des robes de madame est prête ; demain, c’est dimanche...
Le gamin nous a montré notre chambre, une petite pièce avec deux lits, et plein d’étagères copieusement garnies. Il est dix heures trente, on ne va pas tarder à y aller dans ces lits. Grosse déception dans la salle de bains, l’eau est complètement froide ! Pour moi, ce ne sera qu’une demi-douche, d’autant que l’appartement n’est pas très chaud non plus.

Ce soir, j’ai retiré la pile de mon compteur, pour la nettoyer et la sécher ; demain, je repars à zéro, j’ai tout effacé. Il y a aussi une place dans notre maisonnette, dans le hall, pour nos bicyclettes. J’ai remarqué que mes sacoches n’ont pas trop souffert ce matin, elles ne sont pas maculées de boue et leur contenu pas du tout humide. Le garde-boue est un élément indispensable du vélo du cyclotouriste.

Un réconfort en cette triste soirée : lorsque j’ai donné de nos nouvelles tout à l’heure, Michèle m’en a transmis de José qui l’a appelée. Ce soir, il est à Aigues-Mortes. Ça doit être sa deuxième étape du retour, j’espère que demain, pour rentrer sur Saint Victoret, la tramontane sera de la partie, pour cette fois, le porter.

Je réalise, tous les jours un peu plus, que ce périple, prévu sur quatorze jours, était peut-être présomptueux pour nous. Etant données les conditions que nous avons connues et que nous connaissons, la décision de José a été prudente et sage.
J’ai souhaité me trouver dans des conditions un peu extrêmes ; aujourd’hui, nous avons eu des conditions très extrêmes.

Il ne nous reste plus, pour ce soir, qu’à bien dormir sous nos couvertures, même si le vent, là derrière la porte, n’en a pas encore fini de nous flairer...

¯ Ça ira mieux demain
Ça ira mieux demain... ¯