Jeudi, 8 juin

Nous franchissons les Pyrénées. ¡ Hola España !



Le gazouillis des oiseaux, côté Têt, me réveille ; la fenêtre donne sur la rivière et les vitres sont toutes embuées, la nuit a dû être fraîche.
Par contre, j’entends aussi, à l’opposé, côté route, le brouhaha des premiers camions. Il est six heures moins le quart. J’ai encore trois quarts d’heure, mais je ne me rendormirai pas.

Nous revoilà, avec tout le bataclan, prêts, sur notre aire d’activité. Le ciel est complètement dégagé, d’un bleu clair limpide comme il le laissait présager hier soir ; pas le moindre souffle d’air en ce début de journée.

Adieux à José qui rebrousse chemin, il a des amis à quarante-cinq kilomètres d’ici, du côté de Perpignan, chez qui il va s’arrêter, puis il rentrera, en traçant au plus court.

Hier soir, entre Vinça et Prades, la route commençait à être très légèrement vallonnée ; ce matin, les choses sérieuses vont démarrer, Mont-Louis est à mille six cent treize mètres et nous, ici, à trois cent cinquante.
Nous passons Prades qui est très proche, ensuite la nationale 116 devient plus pentue, quelques passages permettent cependant de récupérer. Après Olette, cela devient plus dur.
Mais vais-je trouver ce matin, maintenant il y a urgence, la grille pour mon rasoir – j’ai l’usagée dans la poche arrière de mon maillot – et la crème solaire qui me font défaut ? Il doit me rester suffisamment de francs pour l’achat des deux. A Prades, il n’était que huit heures trente, les magasins ou supermarchés repérés étaient fermés ; à Olette, je n’ai pas trouvé non plus.
Nous remontons la Têt, je suis aux avant-postes, Stéphane préfère se maintenir derrière. « Je m’adapterai », dit-il. Il vaut mieux car le bougre est bien plus costaud que moi, je monterai à mon train !
Un petit train jaune serpente la vallée comme nous, mais en ce moment, il est de l’autre côté de la rivière qui descend sur notre gauche ; lui, il passe à l’ombre. Là, il nous dépasse, un peu plus loin, on le rattrape. Il est passé par ici, il va repasser par là … La partie de cache-cache va durer pendant presque toute l’ascension.
Déjà le soleil donne... du rouge aux peaux pâles, le pas pâle que je suis y a droit itou.

Non, je ne rêve pas, je sens un petit air venir subitement par l’arrière !
Il vient à point, alors que l’on aborde véritablement la montée ; pas pour longtemps, au détour du virage suivant, je déchante, le vent cette fois nous gifle. Dommage que sur la route, on n’ait pas assez de large … pour tirer des bords...
Dans ces passages encaissés, entre des pics qui foisonnent de part et d’autre de la route, le vent s’engouffre par ici, ressort par là...

Petite halte à Thuès, à deux roues de la nationale, car je voudrais bien tenter de récupérer les arrhes versées au gîte Mas de Bordes où nous devions nous arrêter hier soir ; monsieur Peeters, lui, les avait exigées.
Petit tour, à pied, du semblant de village dont les ruelles agrippées au flanc de la montagne sont, en ce jeudi matin, exemptes de toute âme. Petit tour d’où nous allons revenir penauds quand un automobiliste – il y a bien âme qui vive ici – nous indique que le village de Thuès-entre-Valls se trouve quelques kilomètres plus avant et qu’ici, on est à Thuès-les-Bains !
Nous en avons profité pour nous ravitailler avant le final de l’ascension, restent quelques dix-sept kilomètres. J’ai entamé avec parcimonie et bien sûr avec Stéphane, ma réserve d’en-cas : une demi-tranche de pain d’épice et deux pâtes de fruits chacun.
Toujours sur le même versant, sept kilomètres plus loin, c’est cette fois Thuès-entre-Valls. Monsieur Peeters m’avait indiqué : « Au centre du village, passez le pont, puis l’église ... ». Nous ne trouvons pas plus de gîte Mas de Bordes à Thuès-entre-Valls qu’à Thuès-les-Bains !
Mais il est où votre gîte monsieur Peeters ?
La préoccupation du jour étant autre, revenons vite à nos bicyclettes.

Le 42x24 me seyait bien jusqu’à ces deux Thuès ! Maintenant, il faut que je me mette sur mon trente et un, mais au mien, il manque une dent, je passe en fait sur mon trente. Dans un premier temps, je tiens avec le vingt à l’arrière, mais un court temps seulement, le vingt-quatre est plus approprié.
A Pont Séjourné (du nom de l’ingénieur qui l’a conçu : Paul Séjourné), nous voilà à mille mètres, mais encore à douze kilomètres de Mont-Louis. C’est pour notre petit train de tout à l’heure qui remonte la Têt – il s’agit en fait du petit train jaune de Cerdagne – qu’on a construit cet impressionnant viaduc en pierres de taille, pour lui faire enjamber la vallée.

La montée est devenue raide, j’adapte pratiquement mon allure à la pente de la route, j’avance à huit kilomètres à l’heure sur une pente que j’estime à huit pour cent.
A Fontpédrouse, me vient le blues, car voyez-vous, le sommet est à exactement dix kilomètres sinueux et il ne me reste plus que deux petites ratounes en réserve (c’est Léa qui va rire) ! Le petit train, lui, fait une pause.
D’autre part, j’ai un petit « tic-tic » au niveau du pédalier, un bruit régulier et agaçant que je n’arrive pas à situer et qui me perturbe fortement. Mon boîtier de pédalier a un an et demi d’âge et à peine quatre mille kilomètres et qui plus est, c’est un modèle étanche de chez « Shimano ». Mais d’où peut bien venir ce grincement ?
Avant le sommet, de cinglantes bourrasques nous repoussent, on résiste mais notre vitesse chute un peu plus. Sous ce ciel pur, un doux zéphir aurait été plus adéquat.
J’ai égrené les kilomètres à l’aide de mon compteur que j’ai tout le loisir de voir tourner, d’autant qu’il ne s’affole pas trop, lorsqu’à la fin du neuvième, Stéphane qui me suit de près, m’avertit tout bonnement qu’il n’est pas loin de l’hypoglycémie mais qu’il pense tenir debout pour ces dernières centaines de mètres.

Nous arrivons difficilement aux abords de la plus haute ville forte de France, l’ascension dure véritablement depuis Olette, c’est-à-dire depuis vingt kilomètres ; il est midi.
Ici, il n’y a rien de ce qui est vélo, pas assez de Montlouisiens dans ces remparts élevés par Vauban.
On m’indique qu’à Bourg-Madame, j’aurai plus de chance de trouver un réparateur. Il est à peine midi et quart, déjà quelques rideaux se baissent, les commerces vont fermer ; comme nous n’avons pas l’intention de nous payer le restaurant, il devient urgent de faire quelques courses.
Jambon, pâté de campagne et fruits constituent le menu de notre déjeuner que nous prenons sur la pelouse, près de la porte d’entrée de la ville, le tout arrosé d’une bouteille de Vichy Saint Yorre.
La route est là, devant nous ; quelques rares touristes pour nous distraire, pas plus que ce matin dans la montée. J’ai hâte de la reprendre, pour vite aller régler le problème de mon vélo, et puis l’Espagne est là, toute proche.

Un peu de plat, sur ce sommet, nous mène au col de Perche, sensiblement au même niveau que Mont-Louis, à quelques trente-quatre mètres près ; puis une descente nous conduit à Saillagouse où, à tout hasard, je m’enquiers à nouveau auprès d’un automobiliste. Ici, personne ne pourra me dépanner mais il me confirme qu’il y a un marchand de cycles à Puigcerdá, qui jouxte Bourg-Madame, et que c’est le seul de la région.
La N116 s’arrête ici, à Bourg-Madame, elle devient espagnole et continue son chemin en N152, jusqu’à Barcelone.
Il est presque quatorze heures trente quand nous trouvons ce vélociste à la sortie de la ville, le passage de la douane est à une soixantaine de mètres. Nous avons dû passer la française sans nous en apercevoir car celle que nous apercevons est l’espagnole. Le magasin, bien qu’en limite de Bourg-Madame, est dans la commune de Puigcerdá.
Je suis seul à l’intérieur, planté au milieu de beaux vélos ; j’arrive juste à l’ouverture !
Un jeune homme émerge enfin du sous-sol où doit se trouver l’atelier, c’est un Espagnol, il parle très bien le français. Ma « Vanoise » est auscultée sur le champ. Il tombe une manivelle, le pédalier n’a pas de jeu ; il resserre modérément la cartouche, il graisse les deux extrémités de l’axe et remonte le tout ; il ne voit rien d’anormal à ce pédalier. L’opération qui a suivi l’examen a été impressionnante de rapidité. Je pars essayer la machine, je file en direction des douaniers qui me voient faire demi-tour, le bruit persiste mais uniquement avec le petit plateau. Cette fois, le spécialiste examine les pédales, leur pulvérise un lubrifiant ainsi que sur l’ensemble des plateaux. Nouvelle tentative vers les douaniers, cette fois le bruit a disparu !
Personne ne sait pourquoi, mais il a disparu, c’est déjà ça !
Comme je ne savais pas ce que coûterait ce dépannage et que mes fonds, ceux en francs, sont assez bas, j’avais prévenu Stéphane qu’il aurait peut-être à me faire quelque avance. Il n’en sera rien car mon mécano répond à ma demande que je ne lui dois rien. Le dépannage m’a remonté le moral et sa bienveillance me va droit au cœur.
Je croyais à notre arrivée tout à l’heure que le magasin venait à peine d’ouvrir ; en vérité, l’heure de fermeture est quatorze heures, il faisait du rabiot pour terminer un travail urgent, c’est pour ça qu’on l’a trouvé là. Si c’est pas ça, la chance !
Il réouvre sa boutique à seize heures.

Cyclos en difficulté dans les parages, allez voir IRIS ESPORTS , au seize de l’avinguda de França1 à Puigcerdá, juste à la sortie de Bourg-Madame, le vélociste est sympa. Je lui demande sa carte, je le recommanderai auprès de la Fédération.

Quand on lui parle de notre périple, il nous dit qu’il doit se rendre à Grenade, le week-end prochain, où vont se dérouler des championnats de vélo tout-terrain, sur la Sierra Nevada.

Les douaniers espagnols me voient arriver une troisième fois ; cette fois, je passe. L’Espagne est à nous !

« ¡ Hola España ! ¿ Qué tal ? »2

A nous les petites... routes espagnoles, mais en attendant de les emprunter, nous aurons ces deux kilomètres de N152 et bien d’autres, sur la N260 puis la C1313, jusqu’à Lleida. Ce sont de grandes nationales mais cet après-midi, la circulation n’est pas très intense et puis il y a cette bande bien délimitée et propre d’environ quatre-vingt centimètres qui nous permet de rouler à l’écart du trafic.
« ¡ Mira, vacas ! »3, me dis-je ; nous n’en avons pas vu du côté français. Il faut bien causer espagnol !
Nous avalons ces kilomètres qui nous disent « mangez-nous », la route est porteuse.

Un trou noir devant nous : le premier tunnel ; la Policía4 est du côté gauche, et s’en donne à coeur joie, elle verbalise les automobilistes qui en sortent, les phares non éclairés. C’est obligatoire, c’est signalé à l’entrée, il est difficile de ne pas le voir. Aussi, je fixe les deux éclairages à pile que je transporte dans ma sacoche avant ; la randonneuse de Stéphane, elle, est équipée d’origine.
Pas vraiment efficace le projecteur avant, je ne suis pas rassuré. Deux autres tunnels suivent et toujours le même problème, l’éclairage qui est fixé sur le tube de direction ne tient pas, il éclaire tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche ; je ne vois donc pas grand-chose du macadam devant ma roue … la hantise du trou... de longues minutes de stress. J’essaye tant bien que mal de le ramener dans le droit chemin ; le système de blocage laisse à désirer.

Par quatre fois, j’ai frôlé la Policía, la tête nue ; aucune réflexion ou réprimande de leur part. Le port du casque a été rendu obligatoire pour les cyclistes, en Espagne, au début de cette année 2000. Le jeune du magasin de Puigcerdá à qui j’ai posé la question tout à l’heure, m’a dit qu’ils n’étaient pas sévères avec cette nouvelle « recommandation ».

Nous en sommes à une cinquantaine de kilomètres depuis la frontière, lorsque nous entrons dans La Seu d’Urgell. A l’entrée de la ville, nous avons droit à un « Adéu »5 magistral d’un cyclo catalan que nous croisons ; il n’a pas de casque.

« Da el sol también por este lado ! »6. La chaleur est plus importante, le soleil pique davantage. Aujourd’hui, c’est le bas des jambes, au-dessus des chaussettes, qui a rougi.

Dans une grande ville comme celle-ci, ça devrait être facile de trouver ce que je cherche en vain depuis ce matin. C’est l’heure des emplettes dans les petites ruelles de La Seu.
Stéphane se procure une carte de l’Espagne, moi ma crème solaire et enfin, au troisième magasin d’électroménager – la plus petite boutique des trois – ma grille « Braun », qui sera noire et non plus grise. Ces deux articles ne sont pas meilleur marché ici, qu’en France.
Stéphane tient à arroser son entrée dans la péninsule ibérique. C’est notre primera cerveza7, à l’ombre des platanes de l’immensément longue Passeig Joan Brudieu8.

¯ Que viva España
La vida tiene otro color
España por favor ¯9

La feuille de route prévoit comme étape de ce soir Organyá ou éventuellement Oliana plus loin. La première est à vingt-trois kilomètres, la seconde à quarante-quatre. Etant donné qu’il est dix-huit heures quinze et qu’on s’est un peu reposé dans cette ville agréable de La Seu située à sept cents mètres d’altitude et que ça devrait descendre, on va continuer jusqu’à Organyá où j’ai trois adresses pour la nuit.
La route longe la rivière el Segre10 depuis notre entrée en Espagne. A Adrall, la N260 nous quitte, elle s’éloigne vers la droite, vers les hauteurs ; la C1313 prend la suite, son revêtement est récent, et on dispose toujours de notre bande de macadam délimitée par de petits ralentisseurs qui nous protègeraient d’ automobilistes indélicats. Dans l’ensemble, la route est descendante mais quelques remontées, de temps en temps, cassent notre allure et nous avons un léger vent de face.
Au niveau d’Els Hostalets, les roches d’un rouge très foncé tranchent avec le vert des pâturages. Nous traversons des gorges qui débouchent sur le village d’Organyá, terme de la journée, il est dix-neuf heures quinze ; il est temps d’arrêter.

La journée a été pénible. Dure matinée, je les ai trouvés bien lourds mes dix ou onze petits kilos de chargement pour monter à Mont-Louis. Long après-midi avec quatre vingt-cinq kilomètres, ce qui nous fera pour ce jeudi, cent quarante. Mon guidon s’est à nouveau désaxé, comme hier à Saint-André-de-Roquelongue, je l’ai resserré, sans trop, les deux fois.
Je me rends compte que le parcours prévu sur le papier et ses kilométrages journaliers sont difficiles à tenir, bien ambitieux.

Joan Peñalvert, un internaute sympathisant, avait répondu à un de mes messages lancé sur le web espagnol et m’indiquait « El Albergue Santa Fé, justo a la salida del pueblo, hacia la derecha, pregunten por Trufi »11, comme possibilité d’hébergement dans ce petit village.

Nous trouvons assez facilement, c’est un grand bâtiment, de construction récente mais voilà, il est fermé ! Retour sur nos pas pour trouver une cabine téléphonique en ville (j’ai des cartes de téléphone que Cécile m’a procurées) et appeler le numéro indiqué par Joan.

Le señor Trufi est absent, il est à Barcelone pour quelques jours mais la dame qui me répond me donne le numéro d’une señora qui a les clés de l’albergue.
Je l’appelle ; elle va venir nous ouvrir. Mon espagnol n’a pas l’air trop mauvais, je me suis fait comprendre pour ces deux premières communications.
Retour vers l’albergue ; la dame ne tarde pas, effectivement, et très aimablement nous montre l’établissement et notre chambre. Cela ressemble à ce que je crois savoir d’une auberge de jeunesse ou plutôt, d’un centre de vacances pour jeunes. Nous dormirons dans une chambre pour quatre, les deux lits sont à étage ; nous avons, dans la pièce d’à côté, quatre douches, deux W.-C., par contre, ni drap, ni couverture.
On peut rentrer nos vélos au rez-de-chaussée et il n’est pas nécessaire de les attacher ; «¡ aquí no pasa nada !»12, précise-t-elle.
Nous réglons le montant de la chambre qui est de trois mille pesetas13 pour deux, c’est à peine le prix d’un gîte en France ; cela convient à la gérante et aux pressés que nous sommes ; ainsi, demain, nous aurons toute liberté pour quitter les lieux, tôt, et nous ne la dérangerons pas. A ma demande, elle nous indique un petit restaurant dans la grande rue du village, tenu par une de ses amies ; nous y serons bien reçus ! Elle laisse la porte d’entrée ouverte. «¡ Aquí no pasa nada !» dit-elle.
Nous sommes seuls dans cette grande bâtisse ; je m’attarde sous la douche, j’ai l’impression que la fatigue s’évacue. Pour cette première étape en Espagne ou presque, ici c’est la Catalogne, cela se voit et cela s’entend, nous avons de la chance ; merci Joan.

En traversant Organyá, tout à l’heure à notre arrivée, cela fleurait bon la crotte de bique et la bouse de vache, et la vigilance était de mise pour éviter les nombreuses fientes fraîches sur l’avenue principale. Maintenant qu’on chemine sur le trottoir, on peut voir en contrebas, au pied d’un haut immeuble, à deux pas de la grand-rue, le troupeau de biquettes qui a dû rentrer au bercail juste avant notre arrivée. Nous avons échappé à la cohue caprine...
Organyá est un village de montagne, à plus de cinq cents mètres. Ici, la campagne fait bon ménage avec la ville.

La nuit tombe, claire...

Nous trouvons facilement le bar restaurant recommandé. Nous sommes les seuls à dîner en ce jeudi soir, ou presque ; les patrons mangent en même temps que nous, dans un recoin près du bar. Nous avons préféré les pâtes.
Stéphane ne se fait pas prier pour une deuxième tournée ; je le suis, d’autant qu’elles sont fameuses ces pâtes con sepias14. La patronne sert son bonhomme de mari, mange, nous prépare les plats et elle trouve le moyen d’être à nos petits soins.

Il nous en coûtera, avec le dessert et la boisson, quarante-huit francs chacun, que nous réglons en pesetas bien sûr.

La télé nous distrait, nous sommes attentifs à la météo qui prévoit du beau temps pour demain et qui montre la carte des pollens, le rhume des foins et autres allergies sévissent aussi au-delà des Pyrénées...

Les quatre clients venus consommer au bar ce soir ont été très prévenants, ils nous ont tous lancé un « buen provecho »15. Après ce plein d’énergie, nous avons hâte de regagner notre château en Catalogne, « obert tot l’any »16, comme ils disent, dans leur dialecte. Les « adéu »17 sont chaleureux.
En nous rendant vers le nôtre de bercail, dans la grand-rue déserte, qui n’est autre que la C1313, un tracteur est garé avec sa remorque chargée de fumier ; à côté, un bar.
On est un jeudi soir sur la Terre, mais sur la terre d’Espagne.
L’heure est tardive maintenant...
Notre alberg18 est toujours au même endroit, c’est toujours un grand bâtiment, toujours de construction récente, et nous, nous revoilà à nouveau devant la porte fermée à clé !
« ¡ Madre de Dios !»19, que se passe-t-il ?
On relève le numéro de téléphone inscrit sur la porte, c’est le numéro que m’a donné tout à l’heure la dame chez le señor Trufi ; ça doit être le numéro de la personne qui est venue nous ouvrir. Vu que nous n’avons pas le moindre crayon sur nous pour le noter, il nous faut mémoriser ces neuf chiffres ; à deux, c’est plus facile et puis il y a un 22 parmi eux !
Retour au village, la cabine est toujours là, c’est une chance ! Le téléphone sonne mais il n’y a personne qui répond !
« ¡ Madre de Dios ! »19
Il ne reste plus que la patronne du restaurant pour nous dépatouiller de cette embrouille, puisque c’est une connaissance de la dame aux clés, en espérant qu’ils n’aient pas encore tiré le rideau.
Il n’y a plus un seul client au restaurant, et la dame s’apprête à fermer ! J’explique notre mésaventure, elle est toute consternée de nous savoir sans le gîte !
Aussitôt, c’est le branle-bas de combat. A l’intérieur, elle téléphone, deux appels, en vain ! Pendant que le mari reste avec nous sur le trottoir, la dame s’affaire, elle doit demander où se trouve sa copine, la détentrice des clés de l’auberge, celle-ci n’étant plus chez elle ; elle va d’un immeuble à l’autre dans la rue. Elle revient à notre hauteur ; elle croit entendre la voix de son amie dans un bar, plus haut à une cinquantaine de mètres, elle y court ! Ce n’était pas elle ! Elle met alors à contribution son fils qui vient d’arriver ; je ne saisis pas ce qu’elle lui demande, toujours est-il qu’il repart avec sa voiture.
Une dizaine de minutes après, nous sommes toujours sur le même trottoir, devant le même bar qui n’a encore pas fermé, lorsqu’un automobiliste s’arrête devant nous, la dame des clés est à ses côtés, tous deux nous demandent de monter. Elle est avec son mari, ils nous emmènent à l’alberg ; nous nous réchauffons à l’intérieur du véhicule en écoutant leurs explications, ils étaient dans leur deuxième maison qu’ils sont en train de retaper...

Lorsqu’on a tiré la porte tout à l’heure, pour la fermer, la serrure qui, apprend-on, a quelques problèmes, s’est détraquée et s’est bloquée !

Enfin, nous avons récupéré notre logement !

Je suis allongé au premier étage de mon lit gigogne, près de la fenêtre. Stéphane est au rez-de-chaussée du sien, de l’autre côté. Nous ne faisons pas chambre à part mais notre couche n’est plus commune.
J’ai volontiers étendu ma grande carcasse sur ce matelas dépouillé, après cette nouvelle longue « battue » et cette soirée mouvementée ; cela devenait urgent.
Je n’ai pas eu la volonté de déplier mon sac de couchage bien emballé dans son sac plastique bleu et fixé sur le porte-bagages du vélo. J’ai enfilé une deuxième paire de chaussettes de vélo, les plus épaisses, mon sweat-shirt et j’ai gardé mon short pour me protéger du froid cette nuit, nous n’avons rien trouvé pour nous couvrir.

L’accueil que nous ont réservé l’Espagne et les Espagnols a été particulièrement chaleureux et réconfortant, malgré les petits déboires.

Nous totalisons, après ces quatre journées, presque cinq cent cinquante kilomètres, soit environ le tiers du chemin prévu.

Je me mords les doigts de ne pas avoir défait mon sac de couchage, je suis tout recroquevillé sur moi-même pour résister au froid de la nuit. Nous sommes en Espagne mais encore en los Pirineos20.